Philadelphie, 21 février 03, Ap.- «Avez-vous entendu de bonnes blagues anti-françaises ces derniers jours?»
- «Non?»
- «Pas même une seule plaisanterie sur l'efficacité de l'armée française et le «courage» de ses soldats?»
- «Alors c'est que vous ne vous trouvez pas du bon côté de l'Atlantique car ces derniers temps, il suffit de traverser l'océan - ou simplement la Manche - pour rire allègrement aux dépens de la France et des Français... »
Si la francophobie a atteint son paroxysme dans la presse populaire anglaise ces derniers temps, les États-Unis ne sont pas non plus épargnés. De nombreux Américains - des animateurs de télévision aux journalistes en passant par des citoyens ordinaires - rivalisent d'imagination pour exprimer leur frustration face au refus français d'une éventuelle guerre en Irak.
«Pendant 60 ans, l'Amérique a protégé la France (...) et nous sommes fatigués de leur attitude anti-américaine», déclare Stephen Barrar, député de Pennsylvanie qui a demandé au parlement local d'interdire les ventes de vins français.
Burt Aaronson, un responsable du comté de Palm Beach en Floride, affirme de son côté qu'il fera tout pour empêcher une filiale de la compagnie française «Vivendi Environnement» d'obtenir un contrat public de 25 millions de dollars (23 millions d'euros) pour la construction d'une usine de traitement des eaux.
«L'attitude de la France à l'égard des États-Unis est déplorable», estime M. Aaronson. «Nous avons laissé des milliers de nos hommes et femmes là-bas en France, sous la terre...» Et d'ajouter : «Il est fort possible que si nous n'avions pas envoyé nos troupes là-bas, les Français parleraient tous allemand.»
Déception, frustration, colère : nombreux sont les Américains qui se sentent trahis par la France et certains n'hésitent pas à le clamer haut et fort.
Ainsi, la semaine dernière, un restaurateur de la Caroline du Nord a rebaptisé les frites sur son menu, remplaçant la formule habituelle «French fries» (frites) par «freedom fries» (frites de la liberté). En Floride, un propriétaire de bar a vidé sur le trottoir toutes ses bouteilles de vin et de champagne français, assurant qu'il n'achèterait plus son vin qu'aux pays soutenant la politique américaine.
«Aller en guerre sans les Français? C'est chasser le cerf sans son accordéon.»
À Las Vegas, une station de radio locale a préféré avoir recours aux grands moyens, en l'occurrence à un... blindé pour écraser des photos du président Jacques Chirac, des photocopies du drapeau tricolore, un guide touristique de Paris, des bouteilles de vin et un pain français.
Soutenue par de très nombreux pays -dont l'Allemagne, la Belgique, la Suède, la Finlande, l'Autriche, la Grèce ou l'Irlande - la France n'est pas le seul pays à s'opposer à une guerre en Irak. Mais elle seule semble s'attirer les foudres de l'opinion publique américaine.
Cible principale des blagues américaines, les Français sont caricaturés sous les traits d'éternels porteurs de bérets, de buveurs de vin impénitents, de mangeurs de fromages qui puent, et accessoirement de lâches qui se sont rendus aux Allemands.
«La France veut plus de preuves», remarque le célèbre animateur de CBS David Letterman, un comédien pince-sans-rire : «La dernière fois que la France voulait plus de preuves, celles-ci ont roulé droit à travers la France avec un drapeau allemand.»
L'humoriste Dennis Miller, lui, croit avoir trouvé la solution pour faire de la France un allié solide : «La seule façon de convaincre les Français de participer, c'est si on leur dit qu'on a trouvé des truffes en Irak.» Et de lancer : «Aller en guerre sans les Français, c'est comme aller chasser le cerf sans son accordéon.»
À qui on demandait s'il connaissait le nom d'une armée de 100.000 hommes ayant les mains en l'air face à l'ennemi, il répond sans refléchir : «l'armée française...»
Pour la porte-parole de l'ambassade de France à Washington, cette campagne de dénigrement est réciproque des deux côtés de l'Atlantique.
Nathalie Loiseau évoque ainsi «une tradition», «une rivalité» séculaire, qui dépassent la crise irakienne. «Si vous lisez la presse des deux côtés de l'Atlantique, vous pourriez croire que nous sommes prêts à nous entretuer», dit-elle. «Bien évidemment, ce n'est pas le cas. Nous sommes toujours bons amis.»
Selon un sondage de l'Institut Gallup réalisé début février, malgré une chute d'environ 20 points, 59 pc des Américains ont toujours une bonne opinion de la France.
À Londres, «le Daily Telegraph», journal de la City - de qualité - montrait début-février le couple Bush-Blair devant un portrait de femme. Et Bush de demander à Blair : «Est-il fâché ou en traîne sourire ?» La femme, c’était Chirac. C’était bien avant les grands titres du «Sun» et du «Mail», deux tabloïds populaires de la capitale britannique parus le 20 février. Le premier traitant Chirac de «ver de terre», le second de «maquereau de Paris.»
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